Mon patrimoine, mes décisions ?
D’aucuns pourraient croire que dès lors que nous possédons un patrimoine, nous sommes libres de décider du sort à lui réserver et, notamment, d’en disposer à titre gratuit.
Le droit belge vient cependant limiter la marge de manœuvre de celles et ceux qui souhaiteraient gratifier leur entourage, fût-ce dans une certaine mesure.
Nous pensons plus particulièrement, en l’espèce, aux concepts de « rapport » et de « réduction », trop souvent méconnus et régulièrement confondus entre eux[1].
Il s’agit de règles juridiques qui sortent leurs effets non pas du vivant du donateur, mais au décès de ce dernier.
- Le rapport (art. 4.83 et s. du Code civil)
Le principe qui sous-tend la règle du rapport réside en ceci que le défunt est présumé avoir souhaité maintenir une égalité entre ses cohéritiers en ligne directe descendante.
Il s’agit donc d’une règle qui sort ses effets en présence de - et entre - héritiers légaux en ligne directe descendante, lorsqu’une donation est consentie à l’un d’eux et qu’elle porte atteinte à l’égalité de leurs droits.
Ainsi, si un père consent une libéralité à l’un de ses enfants (p. ex. en lui versant une somme d’argent à l’occasion d’un achat immobilier), cette libéralité sera considérée comme intervenant « en avancement d’hoirie » au profit dudit enfant, soit à titre d’avance sur sa succession.
Au décès du père, il sera par conséquent tenu compte de la donation dont l’enfant aura été gratifié pour qu’in fine, la succession du défunt soit partagée de manière égale entre tous les cohéritiers.
Il en va de même si cet enfant devait avoir été gratifié par testament (p. ex. le père lui lègue une œuvre d’art).
Le rapport est, en principe, réalisé en valeur (l’héritier gratifié prendra p. ex. moins dans la succession que les autres, tenant compte de la valeur du bien lui donné antérieurement ou légué/paiera au profit de la masse successorale la valeur du bien reçu/lui légué).
Le rapport étant fondé sur une volonté présumée du défunt, il est possible d’y déroger mais cette dérogation doit être certaine. Le plus souvent, elle sera exprimée dans l’acte de donation lui-même : le donateur précisera que la libéralité qu’il consent est réalisée « par préciput et hors part », soit en dehors de tout partage de sa succession de sorte qu’il n’en sera, dans ce cas, pas tenu compte lors du partage effectif de la succession entre cohéritiers (sauf si la donation consentie devait porter atteinte, par ailleurs, à la réserve des héritiers réservataires (voir infra)).
N.B. la loi elle-même prévoit certaines exceptions au principe du rapport (voy. not. les articles 4.87 et s. du Code civil)/ ! \ En résumé, si rien n’est stipulé en sens contraire et sauf exceptions légales, les donations consenties au profit d’un descendant en ligne directe seront considérées comme réalisées à titre d’avance sur la succession et l’égalité entre les cohéritiers sera rétablie lors du partage effectif de la succession.
- La réduction (art. 4.145 et s. du Code civil)
Contrairement au rapport qui s’applique en présence de cohéritiers descendants en ligne directe, la réduction sort quant à elle ses effets indépendamment de la qualité d’héritier - ou non - de la personne gratifiée par le défunt.
Il suffit - pour que la réduction trouve à s’appliquer - que le défunt laisse derrière lui des héritiers réservataires, c’est-à-dire des héritiers au profit desquels la loi prévoit une part minimale obligatoire de l’héritage.
Il s’agit du conjoint survivant[2] ainsi que des enfants (ou petits-enfants venant par substitution à la succession) du défunt (art. 4.145 et s. du Code civil).
Les enfants bénéficient, - ensemble et indépendamment de leur nombre -, d’une réserve équivalente à la moitié du patrimoine du défunt. L’autre moitié constitue « la quotité disponible » du patrimoine (soit la quotité dont le défunt pouvait disposer à sa guise et qu’il pouvait laisser à qui il souhaitait).
La réduction protège les héritiers réservataires contre toutes les donations généralement quelconques consenties du vivant du défunt (ou libéralités faites par voie testamentaire) et qui viendraient porter atteinte à leur part réservataire.
Afin de déterminer s’il est effectivement porté atteinte à la réserve des héritiers et si le mécanisme de la réduction doit trouver à s’appliquer, il convient de réaliser une masse de calcul au décès du défunt, laquelle comprend tant les biens existants audit décès (dont à déduire les dettes), que toutes les donations généralement quelconques réalisées de son vivant (sans limite dans le temps) ainsi que les legs consentis par testament.
Si, après constitution de cette masse de calcul, il devait s’avérer que les libéralités consenties par le défunt excèdent la moitié de cette masse, les enfants du défunt pourront réclamer leur quote-part de la succession à hauteur de leur réserve, par le biais de la « réduction » - à due concurrence - des donations excédentaires consenties.
/ ! \ En résumé, la réduction n’a pas vocation à garantir une égalité entre les héritiers mais à garantir aux héritiers réservataires le respect de la part successorale minimale qui leur revient, en vertu de la loi.
Gaëlle HUBERT
Octobre 2024
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[1] Sans préjudice d’autres règles (civiles, fiscales, etc.).
[2] La réserve du conjoint survivant ne sera pas abordée aux termes du présent article.